Publiée le 01 Août 2010
Categories: Prep. base, Info, Cereale, Epeautre, France
Petit epeautre
Engrain
Froment locular
Ble riz
Rene Gagnaux
L'engrain (Triticum mono-coccum L.) est souvent appele "epeautre"
alors qu'il faut le differencier de l'epeautre proprement dit
(Triticum aestivum spelta). La confusion est frequemment entretenue
dans le commerce et la litterature. Aujourd'hui, seule la culture
biologique semble constituer un creneau porteur, avec une forte
demande des pays germaniques notamment. Les zones actuelles de
culture s'etendent du pays de Sault, pres du mont Ventoux, au pays de
Forcalquier, ainsi que dans le sud des Hautes- Alpes.
Le petit epeautre est une cereale rustique appartenant a la familie
des bles vetus.
La plante se presente sous une forme grele, avec une tige peu elevee
et raide. L'epi dresse, tres aplati, possede un axe fragile qui rend
la recolte delicate. Le grain est peu renfle, de forme ovoide.
Obtenue jadis par selection progressive de Triticum monococcum
Boeticum, elle n'est l'ancetre d'aucune cereale moderne. Son aire de
repartition se situe en moyenne montagne seche. Le petit epeautre est
un aliment tres complet, dont les qualites nutritionnelles sont
superieures a celles des autres cereales classiques comme le ble ou
l'orge. On peut noter que le petit epeautre a un taux de proteines
eleve et qu'il contient beaucoup de lysine, alors que la plupart des
vegetaux presentent une carence de cet acide amine. Les glucides,
notamment l'amidon, y sont presents en quantites importantes, ainsi
que le magnesium. Enfin, sa teneur en fibres est remarquable (environ
9%). A l'encontre de toutes ces qualites, ce ble (ou engrain)
presente peu d'interet pour la meunerie, car sa farine est grasse et
peu panifiable.
Historique: Spontane dans l'ouest de l'actuelle Turquie, l'engrain a
vu sa culture se repandre d'abord en Grece entre 7000 et 5000 av.
J.-C., puis se propager dans la basse vallee du Rhin, la Suisse et
les Alpes (entre 4000 et 2800 av. J.-C.). Mais durant l'Antiquite,
cette cereale "n'a jamais eu une grande extension", comme le note
Jacques Andre; au Ier siecle de notre ere, le grand naturaliste Pline
l'Ancien ne la connait encore que sous le nom grec de tiphe, et il ne
la rencontre pas en Italie. Quant au medecin grec Galien (IIe
siecle), il juge son pain fort inferieur a celui du far (amidonnier).
L'engrain etait donc bien moins repandu dans le monde romain que
d'autres bles vetus, comme l'amidonnier (Triticum dicoccum, Schrank),
tres anciennement cultive en Italie, ou encore l'epeautre. La spelta
(terme latin qui a donne notre "epeautre") apparat pour la premiere
fois dans l'edit de Diocletien en 301, mais les fouilles
archeologiques ont mis a jour un grand nombre de grains de Triticum
spelta L. en France du Nord et de l'Est, dans des sites allant du
neolithique a l'age du fer. Cette cereale non mediterraneenne connut
un succes notable dans les grands domaines de l'epoque carolingienne,
ou elle fournissait un pain de qualite.
Le terme qui designait l'epeautre proprement dit fut ainsi peu a peu
applique a l'ensemble des bles vetus, l'epeautre constituant l'espece
la plus connue. II est donc probable que les champs de spelta ou de
speuta que mettaient en valeur vers 1330 differentes commanderies
provencales de l'ordre des Hospitaliers aient ete en realite semes en
engrain. Au reste, "ce ne sont que des quantites negligeables
d'epeautre que l'on rencontre" dans la Provence de l'epoque, note
Georges Comet; et encore n'en trouvait-on que dans les montagnes
provencales, a Lardiers ou a Manosque. Le meme auteur remarque que
lorsqu'on semait cet "epeautre", "c'est en restouble, c'est-a-dire
non pas sur la sole des bles mais sur celle en jachere", signe du peu
de cas que l'on faisait de cette culture.
L'epeautre que recense Pazzis en 1808 dans le departement du Vaucluse
etait peut-etre aussi de l'engrain. Pazzis remarque en effet que
cette plante "est fort usitee et fort utile dans la montagne, ou
seulement elle est semee" et que, "une fois depouille de son
enveloppe", ce "petit grain... fournit au peuple une nourriture tres
saine en bouillie", que "les meilleures tables... recherchent avec raison".
Bien qu'usurpant probablement son nom, l'"epeautre" commencait a cette
epoque a etre considere comme une cereale typiquement provencale.
Aymes vendait des 1835 dans son Bazar provencal de Paris de
l'epeautre "pour potage" et, en 1851, il precisait que ce "riz de
Provence" peut se manger "en potage, au gras comme au lait, sa saveur
le rend meme agreable cuit a l'eau sans sucre". "L'introduction de ce
grain dans la capitale est a la foi [sic] un acte de charite et
d'humanite", conclut Aymes, qui n'hesitait pas a lui attribuer la
"franche gaite" que manifestent les "habitants du Midi"!
Malgre ses qualites nutritives et ses nombreux avantages - il peut
pousser sur des sols mediocres - l'epeautre, ou plutot l'engrain, n'a
cesse de reculer par la suite. Comme tous les bles vetus, il devait
etre en effet soumis a toute une serie d'operations destinees a
separer le grain de la balle, operations d'autant plus longues et
couteuses que la part de l'enveloppe est dans l'engrain de 28%. Selon
Raybaut, le dernier moulin a monder des Alpes provencales a ferme ses
portes en 1975, et il en fut de meme plus recemment pour une unite
moderne installee a Sault en 1989. Cependant, le developpement de
l'alimentation biologique a redonne de l'interet a des cereales que
les auteurs du Moyen Age n'hesitaient pas a presenter comme les
meilleures.
Usages: Sous forme de grains, l'"epeautre" est la base d'une soupe
grasse, plat traditionnel des vallees de haute Provence, du Luberon
ou du mont Ventoux. En haute Provence, an consomme souvent cette
soupe en bajana, c'est-a-dire en mangeant separement la viande et les
legumes ayant cuit ensemble, en les relevant d'huile et de sel ou
d'une vinaigrette.
Nous retrouvons l'"epeautre", mais cette fois sous forme de farine,
dans une autre soupe ancienne, la soupe au baton (ou brigadeu), que
l'on prepare egalement avec du froment ou de la farinette. On fait
cuire longtemps, ensemble, de la farine, des oignons, un morceau de
porc ou de mouton et des herbes aromatiques en tournant avec un baton
de laurier (pour le gout) au fur et a mesure que le melange epaissit.
La soupe est a consommer quand le baton "tient tout seul", on arrose
alors d'un peu d'huile d'olive.
Savoir-faire: L'engrain se cultive sur des terres pauvres; dans la
region du mont Ventoux, il occupe les anciennes terres a lavande. Le
cycle cultural dure pratiquement une armee puisque, seme d'aout a
octobre, l'engrain est moissonne a la fin du mois d'aout suivant. Les
faibles doses de semis (80 kg/ha) sont compensees par un tallage
important. De faibles apports en phosphore et en potasse permettent
d'obtenir 15 a 20 q/ha, avec un rendement de 50% au decorticage, la
glume enveloppant le grain etant importante. Pour le debarrasser de
ses balles, le grain est passe dans des moulins a decortiquer.
VOL Provence-Alpes-Cote d'Azur de L'inventaire du patrimoine culinaire de la France
Aucun commentaire sur Le petit epeautre
Ajoutez un commentaire