Publiée le 15 Janvier 2000
"Un subtil brouet de poules se fait ainsi. Il faut d'abord faire cuire les
poules. Ensuite, on broie avec des châtaignes mondées et on délaie avec
l'eau de cuisson. On y ajoute une poudre faite de poivre long, de gingembre
et de safran pour colorer. Puis on met ce brouet sur les poules."
Cuire une heure la poule dans de l'eau salée.
Pendant ce temps fendre l'écorce et la peau des châtaignes, tout autour de
chacune d'elle. Puis les mettre dans l'eau bouillante, par quatre ou cinq à
la fois, et les y laisser quelques minutes. On les retire alors et, pendant
qu'elles sont brûlantes, il est très facile d'ôter à la fois l'écorce et la
peau. Pour ne pas trop souffrir, tremper les doigts dans une eau fraîche
dont on aura pris soin de poser un saladier plein près de soi.
Les châtaignes une fois bien mondées, les faire cuire dans de l'eau salée.
Puis les broyer avec le foie, délayer dans du bouillon de cuisson de la
poule. Ajouter les épices finement pulvérisées, remettre au feu et donner un
bouillon; goûter pour vérifier l'assaisonnement. Découper la poule et, sur
le plat de service, la napper du brouet.
1 poule avec son foie, 150 g de châtaignes, 10 g de sel, 15 g de gingembre
pulvérisé, 4 épis de poivre long, 3 filaments de safran.
COMMENTAIRE
Le nom latin de la poule, gallina, a donné en français médiéval " geline ".
La chair de geline, selon Pierre de Crescens, " est très bonne viande "
quand " elles sont jeunes et grasses ". Aldebrandin ajoute qu'elle " donne
assez bon nourrissement " surtout si elle n'a pas encore pondu, car sa chair
est alors particulièrement tempérée, " engendre meilleur sang, et conforte
la nature de l'homme à user [de] la femme ".
Le foie, de nature chaude et humide, passait pour difficile à digérer. Mais
parmi les foies de volaille celui de la géline était réputé le meilleur. Les
châtaignes, chaudes au premier degré et sèches au second, étaient censées
donner des vents. Mais la cuisson en eau, dit Aldebrandin, " amende leur
malice ". Au reste, elles " donnent appétit de manger " et " restraignent le
vomir si elles sont mangées à jeun ".
Le poivre long ou Piper officinarum, qui a peut-être été celui des Romains,
forme un petit épi de minuscules grains accolés à une tige. Il est piquant
presque autant que le poivre rond mais a une odeur suave qui rappelle la
cannelle. C'est le seul poivre qu'évoquent les livres de cuisine français du
xve siècle. Mais à partir du XVII°, il a quasiment disparu de chez les
épiciers. Depuis une dizaine d'années, cependant, on en retrouve à Paris et
à Lyon.
Le prix du safran dépassait largement celui des autres épices. D'après les
comptes de la cour de Bourgogne, un quarteron - c'est-à-dire un quart de
livre -de safran valait deux fois plus cher qu'une livre de cannelle et
équivalait au prix d'un veau entier. On l'utilisait souvent en poudre et
parfois en filament ou "frangié de saffran " (Cf. Mesnagier, éd. 1994, P.
626, n' 63). Dans le second cas on en recherchait le goût, et dans le
premier la couleur. C'est ce qui est explicitement dit ici.
FETES GOURMANDES AU MOYEN-AGE Jean-Louis FLANDRIN & Carole LAMBERT
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